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vendredi 11 mai 2012

Hybridation et génétique (2)

L'abondance et l'importance de l'actualité, qui nous éloigne un peu des claviers, explique le retard et le caractère plus étriqué de la chronique de ce jour. On voudra bien nous le pardonner… 


Alors que je rédigeais la partie de cette chronique consacrée au modèle plicata et que je faisais des recherches, j'ai été arreté par une constatation et une réclamation.

Un lecteur ami m'a gentiment fait remarquer qu'à raison d'un modèle par semaine, la saison d'hybridation serait passée et qu'on n'aurait guère le temps, faute de pollen encore disponible ou de réceptacle toujours présent de mettre en pratique les conseils. Voilà pour la réclamation. Message reçu !
Le constat concernait l'existence de travaux antérieurs sur la question, mais nichés au fond d'une archive du Web. Notre ami Sylvain Ruaud, s'est penché sur son blog érudit (Irisenligne.blogspot.com/) sur ces questions des modèles (plicata (23/4/2005), variegata (7/01/2005), luminata ((6/5/2005) à bordure dorée (11/11/2005), ou maculosa (Broken colours)) et a fourni des informations et des références précieuses qu'il serait présomptueux et inutiles de dupliquer. On aura profit à parcourir les précieuses archives de ce blog, qui est, pour l'amateur une mine de renseignements de toute sorte.

Je me contenterai donc pour cette semaine, de rappeler quelques règles de bases en matière de génétique qui commandent la distribution des pigments colorés et de renvoyer aux liens qui fournissent tous les détails concernant les modèles. Ceci dit, je ne renonce pas à fournir quelques informations complémentaires si je le peux dans les semaines qui viennent. Puis, pour aider nos hybrideurs amateurs et surtout ceux qui se lancent dans l'aventure, de rappeler quelques évidences sur le choix des parents.



Du bon usage des "mauvaises herbes"…

Comme plusieurs amateurs, j'ai fait un constat étonnant en ce printemps paradoxal qui a associé la douceur de février, la brutalité transie de mars avril, et la pluviosité excessive des 15 derniers jours. Alors que certaines de mes plate-bandes les plus soignées étaient atteintes de toutes sortes de maladies (taches du feuillage, pourriture bactérienne), celles qui avaient, par manque de temps, été négligées et se trouvaient envahies par l'herbe ne présentaient aucune atteinte de maladie et se préparaient à fleurir abondamment.
Ce phénomène étonnant, contraire à tout ce que l'on sait et qu'on lit sur la culture des iris m'a amené à une réflexion.
La recrudescence des maladies constatée dans plusieurs jardins peut-être due à l'importation d'organismes malins (champignons, bactéries). Mais, et je le crois de plus en plus, à un déséquilibre de nos sols : trop d'engrais, trop d'azote, favorable apparemment au développement des bactéries comme E. Carotovora.
C'est la bonne santé des adventices dans mes deux plate-bandes non désherbées qui m'a suggéré une réflexion : ces plantes gourmandes en azote ne joueraient elles pas un rôle utile, en assimilant le "trop-plein" d'azote, évitant ainsi les problèmes évoqués plus haut ? C'est une piste à creuser.
En attendant j'en tire quelques conclusions provisoires : associer les iris (autant que faire se peut) à d'autres plantes capables de manger l'excès d'azote et d'éviter les inconvénients de la monoculture, responsable de bien des désagréments rencontrés.


Hybridation (2) : le choix des parents

Marier deux iris "moches" (si, ça existe !) a peu de chance de faire naître de beaux bébés. Mais marier deux beaux iris ne signifie pas nécessairement que les enfants seront à la hauteur des parents ni des espoirs qu'on a formés (Ce serait trop simple). Nous dirons que c'est une condition nécessaire mais pas suffisante.

En outre la génétique des pigments (la prochaine chronique sera consacrée à cette question fondamentale pour l'hybridation, mais compliquée !) obéit à des règles qui ne sont pas celles de la peinture. Marier un iris bleu à un iris jaune ne donnera pas un iris vert et encore moins un iris à pétales jaunes et à sépales bleus.
Depuis quelques décennies, nos connaissances en matière de génétique des iris ont fait d'énormes progrès. On sait comment fonctionne la distribution des pigments colorés, on localise à peu près les gènes qui les portent. Ce qui n'empêche pas les controverses, comme en témoigne l'ouvrage de Dan H. Meckenstock :  Breeding Red Irises. Mais d'autres caractéristiques que la couleur sont plus difficiles à maîtriser car contrôlées par plusieurs gènes ou par des combinaisons encore mal connues.
Je suis en train d'essayer de synthétiser plusieurs publications sur la question. Hélas elles sont toutes en anglais, et cela nécessite une attention particulière qui prend du temps au "bon Français" que je suis, c'est à dire assez médiocre pour la maîtrise de l'anglais…

Les impasses des mutations provoquées

Les tentatives effectuées pour provoquer des mutations en utilisant la colchicine ont semble-t-il déjà donné tous les résultats qu'on pouvait en attendre. L'irradiation des graines n'a rien donné et les recherches entreprises par feu Rick Ernst avec l'université de l'Oregon pour obtenir un iris rouge après décryptage de l'ADN de l'iris n'ont pas été couronnées de succès.

Les croisements avec iris aphylla et ses descendants

Aujourd'hui des résultats interessants semblent être obtenus en effectuant des croisements entre nos iris modernes et des iris "sauvages" (des espèces) ou leurs descendants. Examinons simplement un exemple 

Photo Wikipédia
 Iris Aphylla est une espèce présente dans une aire géographique très vaste Europe du Nord et de l'Est, Afrique du Nord, Balkans, Asie. C'est une espèce originaire d'Europe où elle prospère dans certaines stations montagnardes et en Pologne.
Elle a été l'objet de croisements et de mutations spontanées puisque les nombreux cultivars que l'on rencontre, présentent des différences sensibles au niveau de la couleur et de leur patrimoine génétique. [Une étude approfondie sur des stations de Pologne, met en évidence ces différences génétiques. (High levels of genetic diversity in populations of Irisaphylla L. (Iridaceae), an endangered species in Poland in Botanical Journal of the Linnean Society, 2003, 142, 65–72.)
Pour des précisions sur cette espèce voir la fiche de J.L. Latil dans Iris et Bulbeuses n°127 (1997) : http://www.iris-bulbeuses.org/bulletin/127-13.htm]

Quand on utilise Iris Aphylla dans des croisements, ce qu’on recherche : un branchement plus bas (les premières branches sont presque au niveau du sol) donc plus de fleurs et des fleurs plus petites. 

Ainsi Dolce  (Paul Black 2002) dont le pedigree inclut un semis d'I. Aphylla : F175BB: ('Northern Jewel' x 91196A: (8864B: (('Navy Waves' x 'Bride's Halo') x sib) x C. Palmer aphylla seedling)) X B194C: ('Abridged Version' x 91135D: (('Center Fold' x 'Wings Of Dreams') x 'Birthday Gift'))
a fait sensation dans le monde des iris. L'introduction de ses gènes a permis, tout en conservant les carctéristiques de couleur et de forme d'un iris moderne de diminuer la taille des fleurs et de favoriser la ramification des tiges. C'est un iris de surcroît vigoureux et prolifique donnat rapidement de grosses touffes florifères.
Dolce Photo Twiki
Passons à la pratique

Essayons dans un premier temps d'en rester à des pratiques à la portée de l'amateur.

L'amateur va donc choisir deux iris de qualité (qualité reconnue par les distinctions obtenues, mais aussi par le comportement de ceux-ci dans son propre jardin). 
Dans ce choix, intervient le but qu'on s'est fixé

Plusieurs chemins sont possibles. Commençons par deux possibilités assez simples :

-soit améliorer une couleur (un iris uni. Les anglo-saxons parlent de "self"). Sur le forum de la SFIB, un amateur posait cette question : comment obtenir un iris vraiment bleu et débarrassé de ses tonalités violettes. La même question peut concerner les iris dit "noirs" (peut-on les débarrasser du violet ou du pourpre qu'ils contiennent ou tout au moins les minorer), les "rouges" (comment les débarrasser des tonalités brunes), les roses (comment enlever le pourpre ou l'abricot qui les nuance) etc.

-soit essayer des "mélanges" de couleurs. Ces "mélanges" existent spontanément dans la nature : ce sont par exemple les amoenas (pétales blancs et sépales jaunes ou bleus) ou les variegatas : (pétales jaunes, sépales bruns). On a déjà obtenu des "inversions" (ce sont les amoenas inversés où les pétales sont bleus et les sépales blancs). On peut chercher à renforcer ces caractères en améliorant la pureté des couleurs. On peut chercher à innover en créant des contrastes nouveaux.
Un contraste particulièrement remarquable m'a beaucoup frappé par son intensité et sa nouveauté : Starring de Ghio (1999) : pétales blanc presque pur, sépales rouge violet très foncé tirant sur le noir.


 A partir de là on peut rêver du même à l'envers : pétales rouge violet sombre, sépales blancs. Ceratins imaginent même pouvoir obtenir un bicolore rouge/noir. Un vrai projet pour les décennies à venir, puisqu'aucun de ces deux coloris n'existe vraiment dans le monde des iris. 'Who's your Daddy' un "rouge" foncé bitone est un peu une avancée dans ce domaine. 
Who's your Daddy (Blyth) Photo G.R.

Comment procéder pour les croisements ? 

Dans le cas n° 1, auquel on accordera aujourd'hui la priorité, on choisira deux variétés qui possèdent à la fois un coloris pur, mais aussi (car un iris n'est pas seulement ce qu'on voit, il est aussi toute la mémoire génétique qu'il contient) un pédigrée  présentant de nombreux ascendants en conformité avec le but recherché.
Pour cela, soit on consulte pour chacun des parents la check-list de l'American Iris Society (AIS), soit son encyclopédie en ligne Twiki (http://wiki.irises.org/bin/view/Main/WebHome).
Remonter dans un pedigree, consulter les photos des ancêtres, prend du temps. C'est un exercice qu'il convient de préparer à l'avance.

On a choisi les parents, on effectue le croisement (dans les deux sens, l'un jouant d'abord le rôle de père et l'autre la mère et inversement). Les caractères portés par la mère ou le père n'étant pas les mêmes (on expliquera cela plus tard), on peut obtenir des choses sensiblement différentes.
Les rejetons obtenus seront ou non conformes aux attentes. On sélectionnera le ou les individus les plus proches du but espéré et là deux voies s'ouvrent à l'hybrideur :
                    • soit pour améliorer le bébé obtenu qui semble intéressant mais dont certains traits peuvent être corrigés on le croise à nouveau avec un autre iris mieux doté pour les défauts à corriger,
                    • soit on pratique l'inbreeding (très utilisé aux E.U par Spoon et source de nombreuses controverses), c'est à dire qu'on le marie avec un des frères de semis réalisant ainsi un mariage consanguin (c'est le sens du mot inbreeding).

Les généticiens considèrent en général, que les changes d'amélioration d'une population sont d'autant plus grandes que les parents sont génétiquement éloignés. C'est à cette condition seulement que peut se manifester l'heterosis (ou vigueur d'hybride). L'inbreeding, type de croisement consanguin amène souvent les caractères récessifs à se manifester et favorise l'expression de mauvais allèles. La "dépression de consanguinité" se traduit en effet par une perte de diversité génétique susceptible d'affaiblir les capacités de résistance de la plante à certaines attaques de l'environnement. Cette consanguinité a parfois été avancée pour expliquer le manque de résistance de certains cultivars aux maladies qui frappent les iris.

Alors pourquoi utilise t-on quand même cette méthode ?

Pour une raison simple, c'est qu'on obtient parfois de belles choses. Un des promoteurs de cette méthode, Donald Spoon cite le cas des croisements effectués par lui entre 'Uncle Charlie' avec un frère de « Lady of Leoness' à partir du croisement inversé de (Honky Tonk Blues X Silverado) qui a produit «Uncle Charlie». De ce croisement inversé avec un frère de semis, il a obtenu 'Orchid Dove' très apprécié. «Orchid Dove » a plusieurs traits récessifs qu’on ne ne trouve pas dans l'un des parents ou grands-parents. parmi ces traits 'récessifs' : la couleur "orchidée" et la dentelure des pièces florales que ce croisement aurait permis d'exprimer…
Uncle Charlie (photo Twiki)
Orchid Dove (photo Twiki)

Mais aussi parce que Donald Spoon, y voit (à tort ou à raison), le moyen de renforcer certains pigments nécessaires à l'obtention de coloris nouveaux. On lira avec profit les quelques lignes que Sylvain Ruaud a consacrées à sa recherche du rouge (iris en ligne du 4//03/2005)

(à suivre…)